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La Fondation Zoubov: maison de la Belle au Bois dormant

La Fondation Zoubov est un magnifique appartement dans un hôtel particulier au 2, rue des Granges, entièrement restauré et meublé par la comtesse Rosario Julia Zoubov (1892-1984).

Née d’un père prussien, Emilio Schiffner, et d’une mère argentine, Rosario Julia de Larrechea, était l’une des plus riches héritières de l’Argentine. Elle passa son enfance entre Buenos Aires, Berlin, Londres et Genève et se maria en seconde noces à Cologny, en 1922, avec le comte russe Serge Platonovitch Zoubov (1881 1964). Ils eurent une fille, Tatiana (1924-1957), tuée dans un accident de voiture en Uruguay.

Un goût très sûr et très personnel

Femme d’une large culture, la comtesse Zoubov dénicha sa vie durant des objets à son goût, très sûr au demeurant, dans des ventes aux enchères ou lors de ses nombreux voyages. Elle recréa dans ces lieux l’atmosphère des salons du XVIIIe, qui cadre par ailleurs avec ce bâtiment dont la construction débuta au printemps 1720.
L’hôtel de Sellon faisait partie d’un ensemble architectural de trois hôtels (nos 2, 4, 6) inspirés des demeures patriciennes françaises. Classé monument historique en 1923, il est demeuré plus de deux siècles dans la famille avant d’être racheté par l’Etat en 1955. Sur la terrasse qui surplombe la place de Neuve, on peut apercevoir une grande pierre tombale pyramidale, un hommage à Calvin voulu en 1814 par Jean-Jacques de Sellon, humaniste et philanthrope.

Magnifique don à l’État

La riche collection, gérée par une fondation, fut offerte par la comtesse à l’État de Genève en 1959 en mémoire de sa fille Tatiana. Conditions: qu’elle soit accessible au public et qu’elle serve de lieu digne des réceptions protocolaires du gouvernement. De fait, l’impératrice du Japon, en visite officielle, apprécia tellement l’atmosphère cosy de cet appartement, qu’après le déjeuner protocolaire, elle souhaita y passer… le reste de l’après-midi! Ce ne sont pas moins de 150 personnalités, ambassadeurs et consuls qui y sont reçus chaque année par le gouvernement genevois.

Ce grand brûle-parfum, en émail polychrome cloisonné sur cuivre, provient du Palais impérial de Pékin.

Chaises lyre et commodes bernoises

En suivant la guide de pièce en pièce, on découvre un concentré de culture européenne, de nombreux objets de Russie, dont des lustres provenant de palais impériaux, lustres vendus mais dont de rigoureuses copies se trouvent dans le pays d’origine. La boiserie qui lambrisse la salle à manger provient du palais Hamilton en Ecosse, elle a été dessinée par l’architecte William Adam. Les tentures, toutes différentes, sont issues d’ateliers lyonnais, le mobilier, dont des chaises lyre fort charmantes, est souvent français, exception faite de deux remarquables commodes bernoises, attribuées à Funk.

De la Chine à l’Argentine

Parmi les nombreux objets exposés, on trouve un grand nombre d’émaux chinois, ceux cloisonnés de Pékin et ceux peints de Canton, le plus grand centre de production aux XVIIe et XVIIIe siècles. Côté tableaux, la comtesse osa faire se côtoyer les œuvres qu’elle aimait: une grande tapisserie de Catherine II, des portraits de grandes- duchesses, une vue du palais Stroganov, Joséphine de Beauharnais, Napoléon en campagne de Russie, un portrait de Jeanne- Julie-Louise Le Brun par sa mère, Elisabeth-Louise Vigée-Le Brun, ainsi que plusieurs gravures de l’artiste suisse Angelica Kaufmann (1740-1807). Près de l’entrée de la chambre du comte Zoubov, on aperçoit la photo émouvante de la mère et de la fille, profils évanescents, la brune tenant la main de sa blonde fillette… En 1977, la comtesse fit don d’une série de portraits, dont un de sa fille par Marie T. Geraldy. Ils se trouvent dans la Sala Zubov du Musée d’art décoratif de Buenos Aires en Argentine.

Chancellerie d’Etat
En collaboration avec la Direction du patrimoine et des sites et les Archives d’Etat

Pour en savoir plus :
Collection Zoubov Genève, Catherine Bourlet, 1979, réédité en 2001 sous le titre de Musée Fondation Zoubov Genève.
Internet : www.memo.fr ( mention Fondation Zoubov ) et www.mnad.org.ar/salasubov.htm
Visites guidées : jusqu’au 30 septembre du lundi au vendredi à 15h45. Réservation groupes: tél. 022 340 48 64.

Questions/réponses

Catherine Bourlet, Cabinet d’expertise et de restauration à Genève

Vous avez rédigé la brochure de la collection Zoubov, d’un joli rose fuchsia, en 1979 (réédition en 2001).
Une commande?

On m’a proposé ce mandat, en effet. Bien que gravitant plutôt dans le monde des musées vivants, j’ai tout de suite ressenti l’atmosphère de cet
endroit très XVIIIe, musée d’ambiance, lieu d’accueil, de passage, de conversation, l’esprit des Lumières qui y règne. Avec un peu d’imagination, on voit les femmes en crinoline converser avec les messieurs d’art, de philosophie ou de littérature. J’ai aussi apprécié la diversité et la qualité des objets présentés, rien n’était à jeter. J’ai eu la chance d’entrevoir la comtesse, une dame tout menue, à l’hôtel des Bergues où elle séjournait lorsqu’elle était à Genève. Pour l’expertise du mobilier, j’ai travaillé avec un ébéniste très âgé, passionné et passionnant, qui m’expliqua les différentes essences d’acajou, comme celle de Cuba. Cela a été une période un peu étrange et magique. J’étais cloîtrée dans cet appartement, examinant toutes ces merveilles, j’ai inventorié 620 objets, déjeunant d’un sandwich.

Un objet qui vous a marqué ?

Travaillant l’émail, j’ai été fascinée par la technique des émaux cloisonnés de Pékin, utilisée pour ce brûle-parfum stupéfiant qui trône au beau milieu du salon. Cet objet d’exception, magie de l’art pour l’art, en forme de citron digité, un rappel de la main de Bouddha, avait été sauvé de l’incendie du Palais impérial d’été de Pékin en 1860. La comtesse le trouva dans un bazar à Téhéran. La surface est recouverte de fleurs: le lotus pour l’hiver, le cerisier pour le printemps, la pivoine pour l’été et le chrysanthème pour l’automne. A propos de citron digité, ce fruit me semblait tellement extraordinaire que je le croyais inventé par l’artiste. J’ai ensuite appris qu’il existait et, mondialisation oblige, une amie passionnée de botanique a trouvé récemment un exemplaire de cet agrume dans une jardinerie de France voisine.

Que faites-vous actuellement ?

Depuis quinze ans, j’ai un cabinet d’expertise et de restauration qui me permet de réunir l’ensemble de mes compétences que sont l’expertise et la pratique puisque je suis à la fois historienne de l’art et plasticienne, diplômée de la Sorbonne. Quant à la restauration, je la pratique depuis mon enfance; dans ma famille, on aimait réparer les objets. En ce moment, je réhabilite de très jolis paravents japonais. Je viens de terminer avec une équipe deux restaurations: celle de la gracieuse Vénus entourée d’angelots Munoz, 1876) du foyer de l’hôtel Beau-Rivage (voir Artpassions, revue d’art et de culture, no 6, 2006), ainsi que celle de la peinture de Dominique Appia, un artiste contemporain, qui se trouve dans l’hôtel Métropole.

La Fondation ZOUBOV : Maison de la belle au bois dormant | FAO | Genève 30 Aout 2006